Pour que la “démocratie” ne disparaisse pas !

abdennour-bidar« Allons enfants de la patrie / Le jour d’espoir est arrivé / Entre nous de /L’harmonie / L’étendard rayonnant est levé ! / Entendez-vous dans nos entrailles /Bouillir ces féroces désirs,/ D ‘amour, de partage et d’agir / Contre les misères à la bataille !/ Levons-nous, citoyens !/ Chantons à l’unisson !/Allons, Allons,/ Que nous soyons, tous frères entre nations ! »

Et si à l’heure où notre société n’en finit plus de se fracturer en séparatismes sociaux et replis sur soi, nous entonnions ensemble cette « Marseillaise » de la fraternité ? Je ne milite pas, disant cela, pour l’abandon ni le remplacement de notre hymne national… Mais de quoi avons-nous le plus besoin aujourd’hui ? De hurler pour réclamer le «sang impur» de «féroces soldats » ?

Ou bien de crier notre volonté collective d’en finir avec cette période maudite où nous sombrons depuis tant d’années dans le sentiment d’impuissance face à la montée des inégalités sociales et des guerres culturelles ? De quoi avons-nous le plus besoin, si ce n’est de retrouver la conscience de nos forces ? Et pour commencer de nous rassembler autour de la fraternité, pour en faire un bien réel et non plus l’éternelle oubliée du fin fond de notre devise ?

Mais que les cyniques, les désabusés, les soi-disant réalistes ont du mal à écouter ce mot de fraternité ! Je les entends ironiser :  « Aimez-vous les uns les autres, ça fait plus de deux mille ans qu’on essaie de nous faire ce coup-là ! Mais, monsieur le philosophe de la fraternité, comment pouvez-vous être aussi naïf, ce que les gens veulent aujourd’hui, c’est l’inverse ! Ne pas se mélanger, rester entre riches, rester entre Blancs, rester entre musulmans, chacun chez soi, chacun pour soi. »

Peut-être… mais que deviendra demain notre société si plus personne n’exhorte à la fraternité ? Comment éviterons-nous que la démocratie même disparaisse, remplacée par une dictature qui empêchera les pauvres de se révolter et qui dressera des murs barbelés entre les communautés ? A-t-on donc un plan B, à la place d’oser se battre pour la fraternité ?

En réalité, celle-ci nous paraît d’autant plus utopique qu’on a oublié de la cultiver et laissé proliférer les espaces où sa culture est impossible. Dans nos ghettos de riches et nos ghettos de pauvres, avec qui fraterniser au-delà de l’entre-soi subi par les uns, choisi par les autres ? L’école a un rôle essentiel à jouer. Il nous faut donner dès le plus jeune âge, puis à l’entrée dans l’âge adulte, le « goût des autres » et se battre donc pour que 10 % de nos collèges ne concentrent plus 80% des enfants de classes défavorisées !

Le génie de l’être humain, c’est qu’il n’a pas de nature prédéfinie et qu’il est capable de tout. Si la fraternité lui est inculquée assez tôt par l’expérience de la compassion, de la solidarité, de l’agir ensemble, du partage le plus concret avec ses camarades — alors cette culture devient une «seconde nature». Si nous l’éduquons à se poser la question « Qui est ton frère,qui est ta sœur ? » en lui faisant considérer que c’est tout être humain  – et même en réalité tout être vivant – et non pas seulement celui qui a le même sang ou la même religion que lui, que se passe-t-il ? La fraternité ne sera pas pour lui, dans sa vie, une abstraction.

Ayant appris à la savourer comme saveur d’enfance, il en aura toujours besoin ensuite et il en répandra l’exemple tout autour de lui. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à aimer par-delà les frontières ordinaires.

“Sois le changement que tu veux voir dans le monde”Gandhi.

Abdennour BIDAR (Philosophe, essayiste, spécialiste des évolutions contemporaines)

 

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